Avez-vous trouvé les différences entre ces deux photos ?

LA PHOTOTHÈQUE DES AMIS DE MOLLANS est constituée de plusieurs centaines d’images, cartes postales ou photographies privées. À part les vues de groupes, la majorité des vues dites « générales » se ressemblent et l’on n’y jette souvent qu’un regard rapide.
Pourtant à y regarder de plus près, en jouant en quelque sorte les Sherlok Holmes de l’histoire locale, on peut, grâce à une multitude d’indices, de détails, préciser les dates de prise de vue simplement en confrontant des observations et des documents d’archives et en faisant preuve d’une saine logique.

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© Bernard Laget
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© Bernard Laget

Prenons l’exemple de deux photos représentant le village photographié depuis le quartier des Aires, certainement par Adrien Girard qui dans les premières années du XXe siècle a, pour notre plus grand bonheur, mitraillé et surtout publié de  nombreuses cartes postales de nos villages.
À première vue pas de grandes différences, et notre regard ne s’y arrêterait pas plus d’une seconde si…

Première observation : l’une est prise en hiver (il n’y a pas de feuilles aux arbres) et l’autre en été (pour la raison inverse). Bof ! L’examen attentif d’une partie de ces deux images nous permet toutefois d’avancer que ces deux vues encadrent 1901. Pourquoi ?
C’est la terrasse du bar du Pont qui nous apporte la solution à cette énigme. Nous savons que l’électricité est arrivée dans le bourg à l’automne 1901, avec force potences et câbles électriques. La vue du haut n’en possède pas la moindre trace : elle est donc antérieure à 1901. La vue du bas en revanche laisse apparaître de massives potences inesthétiquement fichées dans la tour de l’horloge. Les archives de la Drôme ont conservé les résultats d’une enquête diligentée par un certain Auzias en vue de la cession gratuite d’un droit d’appuyage à Léon Mouret, cabaretier. Elle s’est achevée favorablement le 28 octobre 1901 et donc Léon Cyrille Mouret a pu entamer la construction de sa terrasse.
La deuxième vue montre la terrasse fraîchement achevée (elle est claire par rapport aux bâtis voisins) et le cintre du coffrage de l’arc n’a pas encore été enlevé. Les arbres étant largement pourvus de feuilles on peut penser qu’il s’agit de l’été 1902. De plus le petit arbre à droite de la terrasse a poussé d’au moins trois mètres. Deux saisons de végétation ont donc dû s’écouler entre les deux vues, soit une première prise en hiver 1900-1901 et l’autre en été 1902. Élémentaire mon cher Robert !

On peut encore proposer quelques informations. Le gros arbre très visible sur la vue ancienne n’apparaît plus : il a été coupé ou plus simplement rabattu (est-ce le platane qui nous a causé bien du souci en 1975-77 avant que la chapelle ne soit inscrite à l’inventaire ?).
D’autres indices nous confortent dans cette démonstration (ils ne sont pas visibles
sur l’extrait agrandi des photos). La voie de chemin de fer n’est pas construite
(donc prise de vue antérieure à 1906-1907) ; le bâtiment Serratrice (les Tourteaux du Nord…) est bien visible et bien blanc (donc fraîchement construit). Or on sait par les archives qu’il a été construit un ou deux ans après 1900. Tout colle !

L’âge d’or du XIXe siècle

Terminons cette courte enquête par quelques informations complémentaires sur le Bar du Pont. On a vu qu’au XVIIe siècle il y avait déjà à côté un établissement dédié au rafraîchissement des voyageurs : il s’agissait de l’auberge portant enseigne au « Lyon rouge ». Le lieu était stratégiquement choisi, sur la grande route du Buis, mais à l’extérieur des remparts : avec tous ces étrangers on ne sait jamais…
C’est donc une occupation continue depuis plusieurs siècles sous la surveillance successive d’une croix de bois, d’un oratoire, d’une première chapelle et enfin de la chapelle actuelle dont on sait qu’elle avait été réédifiée en 1851, en même temps que le pont avait été élargi. Ah ! les années 1850… Mollans sort de ses remparts avec sa natalité galopante. On agrandit les rues de toutes parts, on construit, on démolit. C’est l’âge d’or du XIXe siècle, et notre village compte alors 1240 habitants (contre 1062 aujourd’hui). La famille Mouret, établie à Mollans depuis une cinquantaine d’année, a dû prendre le café dans les années 1832-1833 puisque Jean-Jacques Mouret est déjà qualifié d’aubergiste. En 1835 il possède au cadastre la parcelle A1456, l’emplacement du bar. Il cède la place vers 1857 à son fils Théodore Jean Mouret qualifié de limonadier. C’est lui qui va donner de l’ampleur à l’affaire.

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© Eric Roso

Après avoir obtenu un droit d’appuyage sur le rempart il démolit le bâtiment initial et aussitôt en reconstruit un autre. Théodore a épousé en effet sa cousine Eugénie Mouret, une fille de la famille Alègre, qui possède la maison attenante. Sur le cadastre on voit que Léon Cyrille Mouret prend la suite vers 1895 : il est toujours qualifié de cafetier. L’accès à son établissement est exigu. Les consommateurs sont obligés soit de rester à l’intérieur, soit de s’agglutiner à l’unique table qui jouxte la route. Mais il est vrai que la circulation de l’époque ne perturbe pas la dégustation de l’absinthe.

Léon Cyrille Mouret deviendra maire de Mollans en 1908 et il le restera jusqu’en 1923. Ce n’est pas la première fois que les Mollanais élisent un homme des tavernes : déjà en 1790 Pierre Paul Brémond, gérant de l’auberge à l’enseigne « Au dauphin » avait accédé à la charge municipale suprême, porté par une notoriété acquise sur le zinc ! Cela ne l’empêchera pas de faire un petit séjour en prison. Mais cela est une autre histoire… ❧

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