La barrette rouge

Dans les années 1950-1960 et peut-être depuis bien plus longtemps encore, circulait,
dans le haut Mollans, une sorte de fable que nos parents et amis nous contaient dans le but inavoué mais implicite de nous éloigner des pentes raides que domine le château : la barrette rouge. C’était, nous expliquait-on, un méchant personnage, qui hantait les ruines du vieux château médiéval et attrapait les petits enfants qui s’aventuraient dans son domaine. Un de nos jeux favoris était, en effet, de se laisser glisser à toute vitesse sur la pente rocheuse, assis sur un carton, une pierre plate ou une planche.
L’existence de ce personnage mystérieux et redoutable m’avait été rapportée une première fois par une vieille demoiselle, Lucie Jarjaille, qui habitait non loin du château, dans une maison sans eau courante, chauffée par une simple cheminée de plâtre qui faisait office de cuisinière. Elle était en effet certainement la dernière villageoise à cuisiner ainsi, dans des chaudrons en fonte posés sur un trépied ou accrochés à une crémaillère, ses soupes et autres préparations.
Une modeste ampoule de quelques watts suffisait à éclairer une pièce sombre, chargée des effluves des cuissons en cours ; cette pièce, laissée dans son « jus », n’avait pas vu de peinture depuis au moins un siècle.
La présence hypothétique de cette « barrette rouge » ne freinait pas nos aventures : de toute façon nous ne l’avions jamais aperçue, même de loin.

Barrette Rouge

Plus tard je me suis interrogé sur l’origine de cette fable. L’hypothèse d’un ecclésiastique de haut rang, un « prince de l’Église », séjournant avant la Révolution au château bas, m’est apparue comme l’explication la plus plausible. Certes, la famille de Simiane, derniers seigneurs du lieu, avait quitté Mollans en 1735 pour aller occuper une demeure plus fastueuse à Valréas. Mais il n’est pas exclu que les plaisirs campagnards n’aient attiré quelque ecclésiastique mitré de leur famille, soucieux de se ressourcer dans ce petit village éloigné des orgueils urbains et de préserver de son autorité le calme de cette villégiature rurale.

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